Du plaisir de la viennoiserie impromptue

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Les viennoiseries ont toujours cette valeur ajoutée, ce petit plus, cet extra qui les discerne de toutes les autres pâtisseries. La viennoiserie est à la vie ce que les premières neiges sont à l’hiver: une joie soudaine, un plaisir simple, une excitation revenue des tréfonds de l’enfance. Un florilège de sensations oubliées coincées entre les carrés de pâte feuilletée.

    Il y a plusieurs sortes de viennoiseries. Oh, je ne parle pas de différences de variétés, de goûts, de formes, non; mais plutôt de singularités substantielles, inhérentes non pas à la denrée choisie en particulier, mais d’un ordre tout autre. Le nirvana viennoiseristique tient du degré de symbiose entre celui qui l’avale et l’objet de la dégustation. C’est une relation chimique, une rencontre, un big-bang gustatif.

    Il y a ces viennoiseries que l’on connaît. Celles que l’on a l’habitude d’acheter tous les dimanches matins, chez le petit boulanger en bas de chez soi. Ce ne sont pas forcément les meilleures du quartier, elles sont d’ailleurs un peu grasses, on a les doigts humides de beurre fondu après les avoir touchées… Mais c’est ici que l’on a acheté son pain pour la première fois lorsque l’on a emménagé et, que voulez-vous, les premières habitudes sont celles que l’on conserve le plus longtemps. Et puis on demande toujours la même chose: -un pain aux raisins s’il vous plaît- mais à chaque fois, le goût est nouveau, la façon qu’il a de se mêler au café est différente. L’habitude ne nous paraît jamais en être vraiment une.

    Il y a ces viennoiseries que l’on attend. La viennoiserie du premier jour des vacances, avalée sur une aire d’autoroute, la viennoiserie achetée au café de la gare avant de prendre son train tôt le matin, la viennoiserie-plaisir que l’on a prévu de manger, presque une case à cocher dans notre agenda. On lui trouve toujours un prétexte, on ne l’assume pas tout à fait: -allez, ce matin je m’achète quelque chose parce que je n’aurai pas le temps. Au fond, on devine que ces dix minutes passées à hésiter, la langue pendante, devant la vitrine de la boulangerie -pour au final choisir un pain aux raisins- ne sont guère une économie de temps. Ce que l’on cherche vraiment, c’est le bonheur du plaisir programmé. La veille on s’est couché en pensant à ce pain aux raisins, comme un enfant pense à ses cadeaux la nuit de Noël. La tare de la viennoiserie attendue est d’ailleurs la même que celle des 25 décembres: ce qui est bon, c’est le met imaginé. Une fois les paquets ouverts, une fois la dernière bouchée avalée, on se retrouve tout drôle, un peu abandonné: c’est fini, ça y’est. Plaisir dévoré, attente envolée: on replonge dans le quotidien, dans l’angoissante langueur du temps dépourvu d’échéance. On se dit alors que l’on devrait faire ça plus souvent, que c’est une bonne manière de commencer la journée. Tous les vendredis? Non, non, on se ravise: je n’aurai pas le temps -c’est surtout la conscience que ritualiser la viennoiserie attendue lui ferait perdre toute sa saveur.

   Et puis enfin, il y a ces viennoiseries que l’on ne soupçonnait pas. Les viennoiseries soudaines, les viennoiseries impromptues. Le pain au raisins qui nous fait de l’oeil au retour d’une nuit de fête. Il nous a sauté dessus, comme ça, sans prévenir. Alors on a cédé sans même y réfléchir: cette viennoiserie, c’était une évidence. En moins de temps qu’il ne nous en faut pour comprendre, on se retrouve au sortir de la boulangerie, un sachet en papier dans les mains, un creux intense dans l’estomac. Les viennoiseries impromptues sont de celles que l’on savoure. On arrache chaque pièce de pâte feuilletée avec délicatesse, du bout des doigts, comme on bouloche la ouate. On prend le temps de s’arrêter, de regarder le soleil se lever. Le brouhaha des voitures, la course citadine des passants nous sont étrangers, tout enveloppés que nous sommes dans une bulle de crème pâtissière. On se sent délicieusement seul, délicieusement libre. Il est neuf heures, on ne sera jamais au boulot à l’heure, mais le temps s’est arrêté et ne reprendra qu’à la dernière bouchée avalée.

   Viennoiseries d’habitude, viennoiseries attendues, viennoiseries impromptues. Plaisirs réitérés mais toujours différents. Pour souvenir, seuls les miettes sur notre pardessus, les doigts un peu gras et le sourire aux lèvres.

11 commentaires sur “Du plaisir de la viennoiserie impromptue

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  1. C’est vraiment bien écrit. On a presque l’impression de sentir l’odeur des petits pains aux chocolats et des croissants chauds. Chaque phrase décrit au mieux les viennoiseries, on se dit « ah oui c’est vraiment ça, ce sont les mots qui décrivent ces gourmandises » et puis on lit la phrase suivante, qui illustre encore mieux la douceur sucrée que celle d’avant. En plus c’est super poétique. Moi qui préfère le salé, ça m’a quand même donné envie !
    J’en profite pour te dire que ton texte a été retranscris (ou plutôt copier coller) dans à propos !

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      1. Ah tu peux sans hésiter le faire!! J’ai d’ailleurs une suggestion à te faire il faut devenir journaliste ou romancière. J’ai vu ce soir que le Times recherchait parmi des blogueurs un aspirant journaliste pour accompagner un journaliste confirmé du New York Times durant une traversée avec un train de type Orient Express dans les Balkans. J’ai vraiment envie de te dire de tenter ta chance car cela pourrait te correspondre et être une fantastique expérience!! Voilà tiens moi au courant si tu le fais!

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      2. J’aimerai justement devenir journaliste, et écrire un livre serait mon rêve! Mais à vrai dire j’ai toujours vu ça comme quelque chose d’impossible.. J’ai bien envie de tenter ma chance! Est ce que tu sais le nom du journaliste, où s’adresser? Je vais chercher de mon côté.. Bon ce serait carrément incroyable d’être prise mais je ne peux que tenter ma chance 🙂

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      3. Génial!! Je vais regarder de mon côté pour te refiler l’info!! Mais je te préviens quand tu deviendras la « Amélie Nothomb » des années 2020 tu devras me donner 10% de tes gains pour avoir lancer ta carrière ;-)!!

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